La nuit du brame - Vaux-Saules - 28 septembre 2014
LA NUIT DU BRAME (2)
Randonneurs pour Oxfam, nous le sommes aussi à d'autres occasions comme pour écouter le brame du cerf au début de l'automne. Voici le récit de notre errance nocturne en 2014.
Les premiers signes annonciateurs de la rando sont au vert : du soleil toute la journée garantissant une nuit pas trop froide, pas de nuage dans le ciel et un superbe coucher de soleil sur les hauteurs bourguignonnes à l’ouest. La lune a décidé d’être aussi de la partie.
Il est 20 heures. Rien n’est commencé, mais tout s’annonce pour le mieux.
Comme souvent, le rendez-vous des randonneurs est fixé à 22 heures devant l’hôtel Mercure du côté de l’Auditorium à Dijon.
Nous sommes quatre à prendre le départ. Quatre compères qui se connaissent bien puisque nous avions marché ensemble pour les 100 km d’Oxfam en 2013. Jean-Luc et moi en tant qu’équipiers de l’équipe des 4 Pièces du Puzzle, Manue et Laurent en tant que supporters venus nous accompagner sur près de 15 km dans la belle nuit du Morvan du côté de Lormes.
Un seul véhicule est donc nécessaire pour rejoindre la route de la forêt de Francheville. Différence par rapport à l’an passé, ce n’est pas au sud de la forêt, à Francheville même que nous partirons. Nous prenons la direction de Saint-Seine-L’Abbaye, poursuivons vers Cheneroilles et Vaux-Saules au nord-est de Dijon. Nous pénétrerons dans la forêt par le côté est, entre Cheneroilles et Lamargelles.
Il est onze heures moins le quart dans la nuit qui commence à s’installer profondément quand nous laissons le véhicule sur le bas-côté d’un chemin pour commencer notre marche. Pas le moindre brame. Nous sommes dans la campagne et les champs. Pour pouvoir entendre les sons de la nuit, nous nous taisons ou parlons parfois en chuchotements. Ainsi, nous parcourons la première demi-heure dans la sonorité de nos pas sur les gravillons des chemins ou le son sourd de nos chaussures sur l’herbe fraiche. Nos lampes frontales sont éteintes, nous n’en avons pas besoin au vu de la clarté du ciel. A un moment, nous remarquons une petite lumière mobile à quelques centaines de mètres sur un chemin à notre gauche. Sans doute un autre groupe de randonneurs venus ici pour la même raison. Nous poursuivons notre marche.
Les cerfs ne sont pas dans les champs. Il nous faudra quelque temps encore pour les entendre enfin quand nous entrerons dans le bois. C’est ce qui arrive comme un cadeau aux marcheurs téméraires et déterminés comme nous le sommes. Effectivement, quelques centaines de mètres à peine après avoir pénétré la forêt, la symphonie commence. Petitement d’abord, puis de plus en plus fort. Ils sont là à se répondre les uns les autres. Ils ne doivent pas se trouver bien loin de nous. De toute évidence, entre une cinquantaine de mètres pour certains, une bonne centaine pour une partie et beaucoup plus loin pour d’autres. Leur brame, dans un nuancier du murmure au rugissement, est accompagné par quelques aboiements de chevreuils et des pépiements d’oiseaux. Même si on l’a déjà entendu, cela donne une émotion intacte comme si on assistait à un spectacle rare. Nous lampes frontales sont toujours éteintes. Nous marchons lentement, nous nous arrêtons quand un grognement proche se fait entendre ou quand la symphonie nocturne repart de plus belle. Entre prudence et émerveillement, nous prenons le temps de cette nuit animale.
Derrière l’apparence sombre d’un espace vide, l’environnement sonore nous rappelle qu’il est incroyablement peuplé. Parfois sur notre passage, un oiseau dérangé s’envole bruyamment. Nous entendons de temps à temps des brindilles piétinés dans les bosquets au bord du chemin. On se sait épiés, regardés, observés. Nous ne sommes pas chez nous, mais dans un monde sauvage à qui nous faisons peur. C’est pour cela que nous avançons sans bruit, souvent sans lumière, et toujours sans volonté de perturber la vie qui se joue autour de nous, juste assister à ce rite annuel qui fait la vie de la forêt.
Jean-Luc vérifiant le chemin sur sa tablette
La clairière dans laquelle les cerfs les plus proches se trouvaient s’est maintenant vidée. Jean-Luc a trouvé un passage pour la rejoindre, la contourner puis rattraper un autre chemin qui descend vers une autre partie de la forêt. Nous nous arrêtons toujours de temps à autres pour vérifier si nous suivons toujours la bonne route, ou si nous allons bien en direction des brames.
Il est une heure et demie du matin, quand nous faisons une bonne pause au creux du bois. Des barres de céréales, des bâtons de saucisson, de l’eau bien sûr. Nous nous parlons davantage. Lampes allumées, pas de brame à entendre.
Le chemin qui suit est presque silencieux en dehors de quelques ululements ou pépiements. Comme d’habitude, la forêt s’apaise entre deux longues périodes de brame. Nous passons cependant près d’une zone où des brames se mêlent aux aboiements des chevreuils. On se croirait à une partie de chasse avec une meute de chiens. Puis de nouveau, c’est le silence. C’est ainsi que nous descendons jusqu’aux maisons de chasseurs inoccupées à cette heure de la nuit (et fermées à clé). Nous nous y posons quelques instants pour se restaurer et boire. Il est deux heures vingt du matin. La fraîcheur commence à se faire sentir. Ces moments de pause permettent de se parler davantage. Nous ne sommes plus dans l’écoute attentive des bruits de la nuit. C’est comme une décompression, un relâchement nécessaire. Nous sommes bien là tous les quatre dans notre errance « bramesque » en dehors du temps, en décalage de notre vraie vie en entrant dans celle des animaux du bois.
Un bon quart plus tard, nous reprenons la route. Nous remontons vers la forêt. Nous remarquons que le massif boisé contourné par la Combe des Crapauds est rempli de cerfs. Nous nous engageons alors dans cette combe qui remonte vers le plateau et les champs. Comme nous l’avions fait au départ, nous marchons lentement et écoutons. Nous devons cependant allumer au moins une frontale pour voir le chemin qui ressemble ici à un tunnel végétal où le ciel se voit peu. Nous sommes seuls sur le chemin, les cerfs sont sur les hauteurs à quelques dizaines de mètres plus loin. Enfin c’est ce que nous croyions. En effet, alors que nous remontons la Combe, nous entendons derrière nous à une centaine de mètres, sans doute là où nous étions passés tout à l’heure, le brame rauque d’un cervidé. Il est sur le chemin et répond à ceux d’en haut sur le massif. Nous écoutons attentivement. Jean-Luc sort ses jumelles à infra-rouge pour le chercher dans l’obscurité. Il est trop loin pour qu’on le voie.
Nous reprenons notre marche vers le haut de la combe. Alors que nous venons de parcourir deux cents mètres, le brame rauque retentit à nouveau, cette fois-ci à l’endroit où nous nous étions arrêtés précédemment. Nous avons la sensation fugace qu’il nous suit, à moins que nous nous trouvions sur son chemin nocturne. Peu importe, que ce soit l’une ou l’autre des situations, le cerf est là, pas très loin de nous. Une sensation extraordinaire d’une présence sur nos pas. Nous nous inventons alors un proverbe : « Mieux vaut être poursuivi par un cerf dans la Combe des crapauds, plutôt qu’être poursuivi par un crapaud dans la Combe des Cerfs ».
Ça ne veut rien dire mais c’est joli à prononcer, surtout, c’est un marqueur affectif de notre randonnée.
Il doit être dans les alentours de trois heures du matin. Le haut de la Combe des Crapauds correspond au croisement des chemins qui ramènent vers les champs et les villages. C’est cette direction que nous prenons. Il n’y a plus de cerfs, ils sont restés au creux des bois. Nous en profitons pour discuter de choses et d’autres. Nous sommes comme quatre mousquetaires après l’aventure, marchant tranquillement côte à côte, savourant ces instants privilégiés sous la voûte étoilée du ciel. C’est bon d’être là loin de tout et proche de tout à la fois, un espace entre deux eaux sur lequel on avance à petits pas. Le plaisir de savourer chaque seconde.
Nous arrivons à la voiture vers quatre heures et quart du martin. Nous avons marché environ cinq heures et demie. Nous avons profité à plein du concert des cervidés, celui qui précède le début du cycle de leur vie. C’est beau d’imaginer que tout faon est né d’abord d’un immense concert dans la forêt. Et c’est à ça que nous avons assisté.
Nous rentrons vers la capitale bourguignonne et nous parlons beaucoup dans la voiture. On rigole. On reparle peu de la nuit. Elle est dans notre tête, en images et en sons. Parler c’est aussi lutter contre la fatigue, rester éveillé après une nuit sans dormir.
Quand nous nous séparons vers l’Auditorium, on sait qu’on a passé un moment hors du commun, que nous avons cela en nous comme un partage intime. Des choses que non seulement on sait, mais aussi que l’on a vécues ensemble. Il est cinq heures trente du martin et nous partons vers nos lits pour une nuit qui commencera avec le lever du jour…
Pascal Marchand
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